En mémoire des martyrs de Kongolo
Parmi les grandes dates inscrites sur la liste de grands moments dignes d’être célébrés pendant ces années du centenaire, figure celle du 1er janvier 2012. Elle rappelle à la mémoire de tous les diocésains de Kongolo, un tragique événement qui ne sera jamais oublié : le massacre de vingt missionnaires spiritains en 1962. Il est devenu une tradition de commémorer ces martyrs qui ont versé leur sang pour ce diocèse en organisant une messe pour tous les chrétiens des trois paroisses de la place, messe célébrée par l’Ordinaire du lieu et concélébrée par tous les prêtres présents à Kongolo.
Cette année, l’anniversaire de ce martyre a eu un cachet spécial dans la mesure où il est le cinquantième. Contrairement à ce qui se fait chaque année, l’anniversaire de nos martyrs a été précédé par une neuvaine et par un pèlerinage pendant les trois jours les plus proches de la date.
Le jeudi 29 décembre 2011, le lieu ciblé était la maison de la fraternité spiritaine qui était la résidence de prêtres professeurs du petit Séminaire, tous tués pendant ces troubles. Après un mot du père régional, la chorale Saint Joseph a dû exécuter l’hymne aux martyrs, suivra le témoignage d’une religieuse rescapée de tristes événements puis celui d’un ancien petit séminariste ayant vécu le drame. Ce dernier avait encore en tête les noms de tous ces prêtres et a dû présenter même les chambres qu’ils occupaient respectivement. Il ne manquait pas de dire un mot sur le trait de caractère de chaque prêtre.
Le pèlerinage s’est poursuivi jusqu’au petit séminaire St Jean Berchmans. Là aussi les explications fournies par les témoins oculaires faisaient revivre l’événement. L’ancien séminariste Thomas se rappelait encore l’endroit où les séminaristes se cachaient par peur de bombardements. Après le Petit Séminaire les pèlerins se sont dirigés à la procure. Deux religieuses (Sr Irma et Sr Denise) ont donné leur témoignage et Mr Thomas a continué à indiquer les chambres qu’occupaient les prêtres résidant à la procure. Il a même montré la fameuse cave qui faisait peser des soupçons sur les missionnaires comme quoi ils y avaient caché des soldats Katangais. Le pèlerinage s’est terminé par une messe célébrée par le père André Nsenga dans l’ancienne Eglise de la mission.
Vendredi 30 décembre 2011, la marche est partie de la procure vers la Cathédrale St Cœur de Marie. C’était une procession avec chants et prières. L’Abbé Emmanuel Bashiki a donné un exposé dont le titre est : Les Martyrs signes de l’Eglise famille de Dieu. Après l’exposé suivra la messe présidée par le père Jean Pierre Ilunga.
Le pèlerinage du samedi 31 décembre a eu pour point de chute le lieu du massacre. Des fidèles par milliers sont partis de la paroisse St Joseph/Kangoy pour le camp militaire ; là on a senti que les témoins étaient très émus car depuis ce jour lugubre, certains ne sont plus passés au camp militaire. Ils étaient traumatisés et ne voulaient plus revoir cet endroit. Ce jour-là, pour commémorer le cinquantenaire, ils étaient obligés d’y descendre et de raconter à tous les pèlerins qui s’y trouvaient comment se sont déroulés les événements macabres. Mr Thomas a même avoué qu’il avait la chair de poule en entrant dans ce camp. Rappelons que Mr Thomas est l’un des séminaristes qui ont été choisis pour traîner les corps des pères jusqu’au fleuve. Les sœurs du Cœur Immaculé de Marie de Kongolo ont aussi fait un témoignage émouvant. Certains pèlerins larmoyaient en entendant le récit de ces événements. Le père Provincial, Éric Ngoy, présent à toutes ces manifestations a célébré cette messe du camp militaire.
Le dimanche 01 janvier 2012, une messe solennelle a été célébrée par Son Excellence Mgr Oscar Ngoy à la Paroisse St Joseph Kangoy où est construite l’Église- mémorial.
Le drame
Le Congo venait d’acquérir son indépendance en 1960, Dès les premiers moments de cette nouvelle ère, les sécessions sont en vogue. Le Katanga devient un État indépendant et du coup le Diocèse de Kongolo se voie appartenir à une province sécessionniste. Les troupes Katangaise investissent le territoire.
En décembre 1961 les troupes nationales venant de Kisangani essaient de reconquérir le Nord du Katanga. L’armée katangaise quitte Kongolo, la population trouve refuge de l’autre côté du fleuve en territoire hemba. Mais d’autres ethnies se réfugient à la mission. Les Père se voient obligés de ne pas fuir pour assister ces réfugiés qui avaient tout leur espoir en eux. Signalons qu’il y avait parmi eux des vieillards qui ne pouvaient pas fuir, également les petits enfants. Les religieuses n’avaient pas fui non plus, elles étaient une trentaine et les petits séminaristes étaient 60. Par fidélité à leur mission de pasteurs les prêtres ne pouvaient pas abandonner toutes ces ouilles.
Lorsque les troupes gizenguistes entrent dans la ville de kongolo, ce sont des coups de canon qui crépitent à tout bout de champ, et ces troupes font irruption à la mission où ils trouvent un drapeau blanc et une croix rouge en signe de paix. Ils sont impressionnés par le nombre de prêtres présents dans une seule mission et en plus des Européens. Ils les soupçonnent d’être des mercenaires. Ils passent au contrôle des pièces d’identités et se rendent compte que tous sont de vrais prêtres. Il y avait un médecin de l’hôpital de Kongolo qui était aussi européen – Mr Moraux et un commerçant dont l’âge ne pouvait pas faire penser à un mercenaire : Mr Melkebeck. Ce dernier avait une épouse congolaise et avait trouvait refuge à la mission.
Les soldats s’étant rendu compte qu’il n’y avait pas de mercenaires, ont inventé un autre motif : vous avez caché les soldats Katangais, vous êtes pro Tshombe, disaient-ils aux prêtres. Ils sont allés vérifier dans la cave de la procure qui servait pour conserver les vivres (Pommes de terre…) croyant y trouver ou des soldats katangais ou des armes. Il n’en a pas été le cas. Ils posent des questions à Mgr Kabwe, Vicaire Général, sur l’Evêque Mgr Bouve qui était à Léopoldville à la réunion de tous les Evêques. Pour eux c’est lui qui a fait tuer Lumumba.
Après la perquisition de tous les locaux, ils rentrent au camp.
La deuxième visite des Soldats sera assez brutale, on embarque les missionnaires dans des camions et on les amène au camp militaire. Les séminaristes suivent à pied. On les met chacun dans son cachot ; les prêtres congolais (Mgr Gérard Kabwe et l’Abbé Gervais Banza) restent dans la salle d’attente avec les séminaristes. Les Sœurs subissent des tortures et sont soumises à des tentatives de viol. Heureusement qu’elles étaient solidaires. Lorsque les soldats voulaient enlever une d’entre elles, elles se tenaient toutes et poussaient un grand cri. La présence de plusieurs expatriés continuait à les inquiéter et ils pensaient toujours aux mercenaires. La nuit du 31 ils ont encore procédé à une inspection dans les locaux de la mission. Pourtant, le nombre élevé de missionnaires s’explique par le fait que certains étaient dans les œuvres du diocèse : procure, les deux paroisses de la place, chancellerie et surtout beaucoup étaient professeur au Petit Séminaire. Un père de Lubunda s’est retrouvé à Kongolo, il est venu se ravitailler pour le nouvel an. Un autre venait de l’Europe où il était en congé et devait regagner sa mission de Ngoy a Mputu dans le territoire de Malemba Nkulu.
Les pères sont soumis à l’interrogatoire et flagellés en présence de leurs fidèles. La troisième fois qu’on les sortait des cachots c’était pour le pire. UN prêtre expatrié, le père Jules Darmon, sera sauvé par un soldat qui espérait que les autres feraient la même chose pour en protéger quelques-uns. Il est à peu près 9 h, c’est le jour de l’an. On les achemine vers le fleuve sous les manguiers, les coups de canon retentissent. Les soldats ont fini leur sinistre besogne et demandent aux séminaristes de traîner les corps de leurs chers pères pour les jeter dans le fleuve. Ce qui les a traumatisés davantage ; l’un d’eux avoue qu’il était hors de lui-même quand il exécutait cet ordre. D’ailleurs les séminaristes savaient qu’ils seraient eux aussi tués le même jour y compris les religieuses et les prêtres congolais comme le leur avaient promis les soldats. Heureusement, l’arrivée du Général Pakasa viendra arrêter cette folie.
Cet événement restera à jamais gravé dans la mémoire des fidèles de Kongolo.
Abbé Emmanuel MBUYU
PHOTS DES MARTYRS